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Consolacion Cenalmor |
En décembre 1983, après 2
années au siège d’un organisme des Nations Unies à Rome, où je commence à
m’ennuyer, je m’envole pour la Malaisie pour le compte d’une petite ONG
française, Ecoles Sans Frontières, qui m’a confié la responsabilité du
programme de français dans le camp de Pulau Bidong. J’ai une licence de lettres
en poche, ne parle pas trop mal l’anglais et couramment l’espagnol. Je succède à
Jean-Jacques, qui lui-même a remplacé Geneviève. J’y resterai jusqu’en 1985,
date à laquelle je passerai le relais à Odile. Ensuite, viendront Eric,
Pascale, Song Thu.
L’ardeur de la jeunesse,
un besoin irrépressible de partager la souffrance des autres et plus que tout
l’envie de me sentir utile. Je n’ai jamais mis les pieds en Asie, mais j’ai une
sensibilité particulière pour les questions touchant à ce qu’on appelle alors
le tiers-monde et aussi pour les questions de l’exil, étant moi-même fille
d’exilé (économique).
Pulau Bidong marquera un
virage radical dans ma vie et dans l’avion qui me ramène en France, le 30 avril
1985 (date ô combien mémorable), j’écris sur mon journal : « l’avenir
sera vietnamien ».
Je ne retournerai pas
vivre auprès de ma famille en région parisienne. Ecoles Sans Frontières me
propose le poste de permanente à son siège à Six-Fours, dans le Var. J’y travaillerai,
d’abord comme gestionnaire, puis comme chargée de mission Boat People, puis
Vietnam, Haïti et Guatemala, jusqu’en 1998, période à laquelle je décide qu’il
est temps pour moi de changer d’air. Je me tournerai par la suite vers la
formation, mais je ne quitterai jamais tout à fait l’association que mon mari
continue encore aujourd’hui d’animer.
L’histoire des boat people
est également la sienne et depuis près de 33 ans.
Je suis arrivé en France
en 1954, pour y faire mes études supérieures. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme
de médecin pédiatre, en 1965, j’ai demandé conseil à mon père resté au Vietnam,
instituteur en retraite devenu dignitaire bouddhiste dans une pagode près de
Long Thành. Il m’a répondu : « Quel parent ne souhaite pas voir ses
enfants rentrer au pays ? Sache que ta fortune sera faite si tu sais ne
rien voir, ne rien entendre, ne pas dénoncer la souffrance de ton prochain. Il
n’y a de place ici pour les révoltés contre l’injustice ! »
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Dr Phat Nguyen |
La guerre faisait rage au
Vietnam et j’ai préféré attendre. Je me suis donc installé en Bourgogne,
d’abord comme médecin de campagne, puis comme pédiatre. Une décennie
plus tard, j’éprouve le besoin de prendre une année sabbatique.
Peu avant la Noël de
cette année sabbatique (1978), Le Hai Hong, qui marque le début de l’exode des boat people (2.564 réfugiés à son bord !), et les images des camps de
réfugiés cambodgiens fuyant le régime de Pol Pot diffusées par la télévision
française déclenchent en France une mobilisation sans précédent. Médecins Sans Frontières
décide rapidement de se rendre sur place afin de monter en urgence des antennes médicales dans les camps
de la frontière khméro thaïlandaise, à Khao I Dang et à Phanat Nikhom (Province
de Chonburi). Je me porte volontaire pour des missions de plusieurs semaines et
profite de mon séjour pour visiter le camp de réfugiés vietnamiens de Songkhla,
dans l’extrême sud de la Thaïlande.
C’est là que germera
l’idée d’Ecoles Sans Frontières. Soigner les réfugiés, les nourrir, les vêtir,
les héberger, c’est indispensable. Mais cela ne suffit pas. Lorsque s’installe
la longue et angoissante attente du départ pour un pays tiers, on ne peut se
contenter de les regarder se désespérer sans rien faire. Il fallait meubler
cette attente, préparer l’insertion dans le futur pays d’accueil et pour cela
les aider à s’approprier cette langue que la plupart ne connaissaient pas. Des
cours d’anglais existent dans les camps, mais l’anglais ne servira à rien à ceux qui seront accueillis par
la France, la Belgique, la Suisse ou le Québec. Bernard Kouchner, avec qui je
suis régulièrement en contact depuis le début de l’opération "Un bateau pour le
Vietnam", qui a lancé le navire-hôpital Ile de Lumière, m’encourage
vivement sur cette voie. J’en parle également au comité local de soutien aux
boat people qui s’est constitué autour de Gérard Paquet, directeur et créateur
du Centre Culturel de Châteauvallon, à Ollioules. Tous sont enthousiastes. De
son côté, Bernard Kouchner décide de partager le reliquat des fonds recueillis
dans le cadre du projet "Un bateau pour le Vietnam" : Ecoles Sans Frontières
en recevra une toute petite
partie, énorme cependant aux yeux d’une toute jeune association qui démarre.
L’association voit le
jour le 30 avril 1980 et j’en deviens le président. Elle ouvrira son premier
programme dans le camp de Phanat Nikhom, en Thaïlande (land people vietnamiens
et réfugiés cambodgiens), puis dans celui de Pulau Galang, en Indonésie (où
sont transférés une partie des réfugiés cambodgiens acceptés par la France). Nous consacrerons une
page spéciale à l’histoire de l’association, pour ceux que cela intéresse.
Pulau Bidong (Poulo
Bidong, devrais-je dire en français) sera notre 3ème implantation.
J’effectuerai plusieurs missions d’approche dès 1982 car le Gouvernement
malaisien n’entendait pas, dans un premier temps, permettre aux ONG de s’y installer.
Il ne le fera que sous la pression de l’UNHCR et de l’Ambassade de France, qui
insisteront sur la relation de cause à effet entre connaissance du français et
délivrance de visas pour la France. (Reconnaissance et Hommage à S.E. Monsieur
Travers, Ambassadeur de France en Malaisie et M. Esposito, Consul, pour leur
soutien). De longs et très nombreux pourparlers qui aboutiront à l’installation
de Geneviève, notre première volontaire, en 1982. Je continuerai de me rendre à
Pulau Bidong environ une fois l’an pour effectuer le suivi du programme
d’enseignement du français et des objectifs secondaires qui seront abordés sur
une autre page de ce blog. Mon vietnamien s’est quelque peu émoussé depuis mon
arrivée en France en 1954, à tel point que lors, de ma première visite à Pulau
Bidong, un gamin du camp lancera sur mon passage « il parle drôlement bien le vietnamien pour un
étranger ! ». Mon origine vietnamienne a d’abord éveillé la méfiance
des autorités Malaisiennes, mais elle m’a permis d’avoir une relation
privilégiée avec les réfugiés et de mieux connaître le problème à la source.
Ecoles Sans Frontières
ouvrira progressivement des programmes à destination des boat people
vietnamiens sur tout le pourtour de la Mer de Chine (Singapour, Palawan aux
Philippines, Hon Kong, puis de nouveau Pulau Galang, en Indonésie, cette
fois-ci à destination des réfugiés vietnamiens.
Après la mise en place du
Plan d’Action Global (PAG) destiné à vider les camps, suite à la 2ème
Conférence internationale (de Genève) pour les Réfugiés Indochinois (1989),
nous profiterons de l’ouverture du Vietnam (Đổi_mới)
pour poursuivre notre aide directement dans le pays. Dans un premier temps,
notre démarche ne sera pas comprise des boat people pour qui la blessure est
encore trop récente. Il leur faudra du temps pour accepter l’idée qu’une ONG
puisse intervenir dans le pays qu’ils ont fui, en toute indépendance et sans
autre motivation que celle d’apporter une aide désintéressée à la population.
Mais ceci est une autre histoire.
Merci !
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